Aphistème…

Ce nom résonne en moi comme une brûlure dans mon cœur et mon âme.

Aphistème…

Il nous a fait tellement de mal… Le dieu du feu, c’est cela. Le feu n’est pas si dévastateur quand on le dose, le feu nous éclaire, le feu nous réchauffe. Le feu ne détruit pas nos maisons ni ne tue nos femmes, enfants, ou camarades. Aphistème, lui, a fait tout ça.

Je me rappelle les déflagrations quand il frappait ses mains, je me rappelle les flammes qu’il créait quand il riait de notre détresse. Je me souviens. Je me rappelle cette lumière blanche, ce flash quand il a invoqué un puissant feu pour essayer de détruire le temple de Solweig. Mes souvenirs de ce moment là me permettent de deviner une apparition de Solweig et Valdania, qui ont tenté de redonner de la lumière à l’âme sombre d’Aphistème et d’éteindre les flammes avec l’eau de pureté.

Puis je ne me rappelle plus rien. Ou plutôt, je ne vois plus rien. Cette explosion lumineuse blanche m’a ensuite laissé dans le noir, incertain, angoissant. Étais-je devenu aveugle ? J’ai mal, j’ai chaud, très chaud. Je ressens une douleur intense et ne vois toujours rien. Sur le moment, ce n’est pas ma priorité. J’appelle Soliryn, ma femme, je cris son nom. Elle est à côté de moi, elle me dit de fermer les yeux, elle m’étreint. Elle me dit qu’elle va chercher un soigneur de la Croix Blanche. Elle revient un peu après, accompagnée de Lang, qui m’allonge au sol et me demande de me détendre au maximum. Mais comment ? Comment se détendre quand on ne voit plus rien ?

Lang me prodigue des soins, il essuie mon visage, dépose de l’onguent, réalise des cataplasmes qu’il dépose sur mes yeux. C’est froid, cela fait du bien. C’est ainsi pendant quelques heures, puis quelques jours. Mais je reste dans le noir, toujours. Soliryn prend bien soin de moi. Elle m’aide à me vêtir, à marcher, à manger, à faire ma toilette. Elle m’aide pour tout. Et surtout, elle continue à m’aimer. Et pour ça, je continue moi aussi de l’aimer de plus en plus chaque jour.

Mes yeux me font moins mal, surtout d’un côté. Je me suis habitué à l’obscurité. Petit à petit, je me débrouille de mieux en mieux pour les actions du quotidien. Lang passe de moins en moins souvent pour les soins de mes yeux. Je me sens capable de bouger un peu l’œil gauche, mais l’œil droit reste immobile sous la paupière.

Au bout de quelques mois, j’arrive à sentir ma paupière gauche, et j’arrive à faire la distinction entre l’obscurité et la lumière, cela me fait du bien et me redonne de l’espoir.

Et puis, un jour, Je parviens à soulever un peu mes paupières. Enfin, une seule paupière, la gauche. La lumière me fait mal et m’éblouie. Soliryn ferme les rideaux et ne laisse que celui de la pièce où l’on dort ouvert. Lentement, je m’habitue à cette lumière. J’appelle ma femme et je lui demande de se mettre en face de moi. Je la regarde, je la découvre, comme la première fois, et j’ai un nouveau coup de foudre, je l’embrasse de tout mon amour.

Elle me regarde alors avec tendresse, mais je sens de l’hésitation dans son expression.

« Que se passe-t-il, lui demandé-je ?

- Est-ce que tu veux te regarder ? »

Je reste incrédule, appréhendant ce qu’il va se passer, mais j’opine de la tête. Elle se lève puis revient avec le petit miroir qu’elle a pris dans le tiroir de l’armoire. Elle me le tend. J’hésite. Je le porte à mon visage et je tourne mes yeux vers l’objet. Ce que je vois me laisse sans voix. Est-ce moi ? Je découvre une face à moitié brûlé, mon côté droit est cicatrisé mais c’est le vestige des flammes d’Aphistème, je le vois bien. Le côté gauche semble globalement épargné. Je passe ma main sur les boursoufflures qui parsèment désormais ma peau. Le relief sous mes doigts me désespère. C’est immonde. Je jette le miroir qui se casse sur le sol. Soliryn se jette dans mes bras.

« Je t’aime, tu es toujours aussi beau ! » Je la serre contre moi. Comment est-ce possible qu’elle m’aime encore... « Si tu ne t’aimes plus, ce n’est pas grave, je t’aimerai pour deux. » Elle m’embrasse. Je souris. Mon cœur aussi.

[✒️ Éléonore]