
Le dernier coup de marteau venait d’être frappé, fixant ainsi l’immense statue de Solweig sur le troisième monument à sa gloire. Le temple de Polaris ne pouvait rendre un meilleur hommage à sa déesse. Même si c’était Solweig qui y était mise à l’honneur, on pouvait y prier tous les dieux de Terra. Le temple avait été spécialement placé à l’extérieur de l’enceinte de la cité pour que chacun, Polaréen ou non, puisse s’y recueillir. Les dieux n’appartenaient à personne…
Thini était fière de ses ouvriers, qui œuvraient depuis plusieurs jours à la construction de la cité. Les imposants monuments étaient splendides et rendaient à Solweig toute sa grâce. Des pierres incrustées réfléchissaient la lumière de la déesse et faisaient luire le temple de milles feux. On ne pouvait trouver meilleur endroit pour communier avec les dieux. Elle avait encore tant à faire, les dirigeants avaient de grandes visions pour Polaris, et elle ne voulait pas les décevoir. Il y avait encore beaucoup à bâtir.
Yanemir, le chef hyperactif de Polaris, avait ordonné la rédaction d’une missive qui partirait aux quatre coins du désert. La discrète Eléonore avait donné son accord, tout en calmant la fougue du jeune homme. Ils formaient un étrange duo, mais leur complémentarité convenait parfaitement à la direction d’un clan. Ils voulaient que la cité puisse accueillir les voyageurs au plus vit, et avec ce monument terminé, il ne manquait plus qu’une auberge pour accueillir comme il se doit les explorateurs du désert, les émissaires de cités lointaines, les âmes perdues…
Ainsi, Thini mis sur parchemins les vers que le peuple de Polaris avait soigneusement élaborés ; ces mêmes vers qu'on avait fait graver sur la porte Sud de Polaris. Ils seraient diffusés à tous, dans l’espoir d’une vie meilleure pour tous, comme le voulaient Yanemir et Eléonore.
Perdu dans le désert, affamé et assoiffé,
Où est la lumière qui saurait me guider ?
Là ! L'étoile Polaire ! Elle semble m'appeler,
A une cité prospère, comme j'en ai tant rêvé.
Rien dans cet enfer, ne pourrait la briser,
Ici est le repère, des âmes égarées,
Suis l'étoile Polaire, tu seras protégé.
Chacun serait libre de venir ici, à Polaris.
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« Elle est au nord. »
C’est ainsi qu’avait fini le message que Valdania lui avait transmis lorsqu’elle lui était apparue.
« Tu dois retrouver la Lumière, tu dois retrouver l'Énergie et la Vie. Tu dois guider ceux qui ont connu les ténèbres, comme toi, ceux qui sont encore dans l'ombre, tu dois les éclairer de la vie elle-même et leur montrer sa valeur. Trouve un sanctuaire, crée un refuge pour tous, ravive la Cité de la Lumière et de la vie. Suis mon Étoile.
Elle est au nord. Mon étoile. »
Cela faisait deux jours et une nuit que la jeune elfe était partie de cette pyramide blanche, en direction du nord, en direction de cette étoile qui éclairait la nuit plus que les autres étoiles, l’Étoile Polaire.
De temps en temps, elle apercevait un homme à des dizaines de mètres plus loin. Leurs chemins finirent par se rapprocher, inconsciemment au départ, et puis consciemment ensuite. Finalement, ils avaient l’air de marcher vers la même direction, peut-être pouvaient-ils avancer ensemble ?
Lorsque le soleil fut couché depuis un moment et que les étoiles tapissèrent le ciel noir, le spectacle de l’Étoile Polaire commença, comme chaque nuit.
« C’est fou comme elle brille… », dit l’homme. Et tandis que sa voix rompit le silence de la nuit, elle brisa la glace par la même occasion. La jeune elfe saisit l’occasion.
« Oui, elle rayonne même dans l’obscurité. C’est dans sa direction que je me rends, répondit-elle timidement.
- Moi aussi. Peut-être pourrions nous faire un bout de chemin ensemble ? Le désert n’est pas toujours rassurant, surtout la nuit.
- Je suis d’accord, mais c’est tellement joli, comme panorama. Pourquoi ne pas marcher côte à côte en effet, et puis, ainsi, je vous protégerai des dangers. »
L’homme sourit, pensant probablement qu’elle plaisantait.
Le silence était revenu, seul le son des pas dans le sable pouvait se faire entendre, et encore, il était léger, les deux aventuriers ayant sans doute compris que la discrétion est d’or dans ce désert parfois hostile. De temps en temps, le vent sifflait à leurs oreilles. Quelques fois, des bruits peu audibles apparaissaient au loin et disparaissaient tout aussi soudainement. Le vent se mit à souffler davantage, et la température commençait à redescendre. Au milieu de la nuit, dans le désert, c’est l’heure froide.
« Brrrr, il fait froid, non ? Ça ne vous dirait pas de se réchauffer ? » lança l’homme.
La jeune elfe s’arrêta nette, surprise, et à peine eut-elle le temps de tourner la tête vers son interlocuteur que, gêné, se rendant compte que sa phrase pouvait être mal interprétée, il reprit « On pourrait allumer un feu et établir un petit campement pour la nuit. »
Un peu plus tard, l’homme et l’elfe étaient assis autour d’un feu de fortune, essayant d’équilibrer son incandescence pour qu’il réchauffe suffisamment tout en étant assez discret. L’homme raconta en premier ce qui le poussa à marcher vers l’Étoile Polaire. Il s’appelait Yanemir, et avait une mission, reconstruire le domaine de Solweig. L’elfe trouva de nombreux points communs aux raisons qui l’emmenaient au nord elle aussi. « Je m’appelle Éléonore. Valdania et Solweig ont communiqué avec moi à plusieurs reprises après que j’ai repris connaissance. Je n’ai que très peu de souvenirs, je me rappelle seulement qu’elles m’appelaient, me disaient que je devais bâtir la cité de la lumière et de la vie pour éclairer les gens, et pour trouver ce sanctuaire, elles m’ont dit de suivre l’Étoile Polaire, et qu’elle était au nord. »
Ils discutèrent encore un peu avant de se raviser, il fallait dormir un peu pour reprendre des forces.
Le lendemain, l’elfe et l’homme avaient repris leur chemin, ils n’étaient pas côte à côte, afin de ratisser des zones plus larges, mais ils restaient chacun dans le champ de vision de l’autre.
Après avoir marché un moment sous le soleil ardent, après avoir plissé les yeux pour espérer se protéger un peu de la lumière puissante, après avoir économisé au maximum la salive de sa bouche asséchée, Éléonore aperçut une zone un peu floue, qui vibrait, et semblait refléter le ciel et le soleil en même temps. Elle hâtait son pas et reconnut une petite étendue d’eau. « Yanemir ! cria-t-elle. YANEMIR ! » Mais immédiatement elle l’entendit appeler également « Éléonore ! ». Chacun voulait partager sa découverte à l’autre. Un début de palmeraie d’un côté, offrant de l’ombre et du repos, et de l’autre côté une réserve d’eau protégée par quelques rochers, de quoi rafraîchir et restaurer.
Ils l’avaient trouvée, la zone idéale vers laquelle les divinités les avaient guidés. Ici serait établie la cité de l’Étoile Polaire, ici serait construite la Lumière pour les âmes perdues, ici serait bâtie Polaris.
Très vite, ils furent rejoints par Gris, Racoon et Thini. Trois voyageurs que Solweig mena jusqu’à eux. Trois voyageurs qui se connaissaient de longue date, qui se réunissaient enfin, et qui avaient jadis bâti une cité pour Solweig.
Ils étaient cinq à poser les premières pierres de Polaris, cinq, comme les cinq doigts de la main qu'ils tendraient à ceux qui en auraient besoin.
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Ce soir-là Yanemir, fourbu, jetait un dernier regard au désert. Cela ne faisait que quelques jours que la Cité dont Solweig lui avait envoyé le plan en songe s'animait, chantier après chantier, nouvelle recrue après nouvelle recrue. Il pria en silence et eut un sourire.
Le vent faisait virevolter la poussière sur la route à peine tracée.
Il s'apprêtait comme chaque soir à retourner à l'abri de Polaris. C'était l'heure d'actionner les puissants verrous de l'immense porte assemblée par ces deux braves nains, arrivés trois jours auparavant. Ils avaient fait un travail formidable, eu égard à la quantité de bière qu'ils avaient prélevée à la Taverne, déjà jonchée de chopes vides. Tout cela était solide. Yanemir avait en lui des souvenirs enfouis de batailles et d'assauts terribles, mais dont il ne parvenait qu'à percevoir les ombres, atténuées par la bienveillance de Solweig...
C'est au moment précis où il tournait les talons qu'il perçut une présence.
Se retournant vivement, la main déjà serrée sur le manche de son marteau immense, il se rendit compte qu'une silhouette se tenait là, à quelques mètres seulement, au milieu de la route, apparition entre deux tourmentes de sable.
- Qui va là ?
L'étranger s'avança tranquillement, d'un pas indéfinissable, à la fois léger et régulier, comme un vent ayant parcouru trop de lieues sans faiblir pour être impressionné.
- Un étranger qui ne l'a jamais été, se rendant dans une ville qu'il connaît sans l'avoir visitée.
Yanemir hésita un bref instant à abattre un bon coup préventif sur le capuchon de ce vieux fou, mais quelque chose retint son geste... Une impression de déjà vu. De plus, si l'étranger paraissait vieux et s'appuyait sur un bâton aux allures antiques, celui-ci arborait une lame de faux redoutable, bien que repliée sur le côté.
- Tu parles en énigmes, étranger : es-tu encore vivant malgré ton allure, veux-tu le rester, et si oui, as-tu toute ta tête ?
À cela le vieil homme répondit par un sourire en coin.
- Je marche depuis très longtemps dans ce désert pour entrer dans ta cité, jeune Yanemir, mais je n'en suis pas déçu car à vrai dire, j'espérais assez un accueil dans ce style !
Comment pouvait-il connaître son nom ? Seule Solweig pouvait être à la manoeuvre, « à moins que la bière ait eu raison de mon esprit », pensa Yanemir, surpris et figé. Comme si l'étranger avait pu deviner ses pensées, il releva un peu son capuchon et sourit encore davantage :
- Tu as le cœur de Solweig, Yanemir, nul n'aurait pu s'y tromper ! Et de plus, crois-le ou non, mais tu as la voix de ton père. Même si son armure était encore plus grandiose, il me semble - si la chose est possible toutefois, ajouta-t'il en faisant un geste d'exagération. Mes souvenirs ne sont pas aussi pointus que mon ironie, je le crains.
- De ? Mon... père ? Où ? Et comment ?! s'exclama Yanemir.
- Mon jeune ami, sache que nous étions côte à côte lui et moi, lors de la Grande bataille, là-bas, aux portes de Sanctuarium assiégée... Tu as dû en entendre parler... Quelle splendeur, quelle force dédiée à la justice de Solweig, si souvent attaquée par ceux qui pensaient que les peuples en paix ne savent pas faire la guerre ! Ma faux ici présente s'en souvient comme si c'était hier. Ce qui s'est passé depuis, eh bien... C'était un long chemin, et la soif me tiraille. Indique-moi simplement la Taverne que tu as forcément dû construire en face du Capitole, et peut-être que devant un verre, mes souvenirs flotteront à nouveau à la surface !
Yanemir ne savait pas quoi répondre à tout cela, mais suivant son cœur, il laissa l'étranger franchir les portes, et cela lui sembla bon et en accord avec le songe de Solweig qui l'habitait depuis tant de mois.
Jetant un premier regard sur la Cité qui s'élevait chaque jour davantage, l'étranger se retourna, avec un sourire rassurant.
- Cette Cité est comme j'ai pu l'imaginer au cours de mon long voyage. Tu peux être fier de ce qui est déjà, et joyeux de ce qui sera ensuite, Yanemir.
Il montra du doigt les deux étendues laissées vierges de part et d'autre des puits, où s'affairait encore à cette heure-ci la vaillante Thini.
- Je vois qu'il y a une place là-bas pour un grand champ, et Solweig aura ses récoltes, si tu le veux comme moi. C'est le métier que j'avais jadis, entre deux combats. Sauf, bien sûr, lorsque je parvenais à échapper à la vigilance de la célèbre Mya, maîtresse des blés, pour aller chercher des minéraux rares et précieux dans les Mines... Ah oui, Yanemir, à Sanctuarium on m'appelait Racoon. Que cela soit mon nom ici si tu le veux bien. Seule m'échappe encore le nom que porte cette nouvelle cité, promise à la lumière prochaine ?
- Cette Cité, Racoon, se nomme Polaris... Que Solweig nous guide, ainsi que la bonne volonté de chacun. J'y veille. J'espère que malgré l'outil que tu portes, tout ce que tu as dit est Vrai. Et d'ailleurs, comment as-tu pu apparaître aux portes d'une Cité encore méconnue et sans routes ?
Racoon éclata d'un rire franc, hocha la tête et se rendit droit à la Taverne, comme s'il connaissait le chemin...
- J'ai simplement suivi l'étoile du Nord, Yanemir ! cria-t-il en s'éloignant. Solweig m'a soufflé qu'il se passait quelque chose de nouveau là-haut, et qu'il serait probablement intéressant d'y voir un elfe fermier qui n'a pas encore pris sa retraite ; et, éventuellement, de voir la réaction d'un jeune chef face à un voyageur tardif et inattendu. Que Solweig se réjouisse de sa pleine réussite !
Yanemir, encore étonné, mais comprenant mieux que les desseins de Solweig étaient parfois tout sauf sérieux (à moins que ?), suivit à quelques pas de distance ce nouveau venu, le plus étrange qu'il ait eu à accueillir jusque-là.
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Autour de la Pyramide Blanche,
Sur des arbres de certains oasis,
Ou encore éparpillés à quelques endroits sur le sol de la capitale,
Des papiers, portés par la magie du vent, sans doute, ou par des oiseaux messagers, peut être, contenaient le texte suivant :
Polaréennes, Polaréens,
La nuit dernière, je ne vais pas vous l'apprendre, Polaris a été attaquée, que dis-je, saccagée. Les pertes matérielles sont nombreuses, mais également humaines, elfiques, naines et vampires. Certains commencent à se relever de leurs blessures physiques, mais le plus dur sera de se relever des blessures à l'âme. Cependant, nous allons y parvenir.
Certes, cet assaut porte un gros coup à notre moral, peut être même à notre morale*, mais si les divinités nous ont ramenés sur Terra, c'est qu'elles nous pensent enclins à nous relever. Quand bien même nous ne croyons en elles, elles, croient en nous.
Ces assaillants, ces Pirates d'Ubar et ces Princes du Nord pensaient nous écraser, et disent que ce massacre et ce siège sont de notre faute, mais ils on tort, notre seule responsabilité a été de croire qu'ils avaient encore un peu de lumière en eux. Montrons leurs que nous, nous l'avons, notre lumière, que si eux se sont égarés sur le chemin de la vie, nous, nous savons où nous sommes et où nous souhaitons aller.
Alors, nous allons reconquérir notre cité, nous allons panser nos blessures, penser à notre futur, nous allons reconstruire, nous allons réagir. Nous allons continuer l'invocation de la déesse de la lumière pour briller encore plus !
Si nos assaillants nous ont eu par le nombre, nous nous relèverons par le nombre.
Polaréennnes, Polaréens,
Serrons le poing pour retendre la main.
Que l'Étoile Polaire veille sur sur notre repère.
Eléonore
*Ceci n'est pas une faute, il est bien question de moral, puis de moralE, comme moralité ;)
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Depuis les attaques répétées des Princes du Nord sur Polaris, le jadis paisible peuple polaréen est aujourd’hui en proie à la terreur. Malgré les discours apaisants du Conseil de Polaris, et la présence bienveillante des Héros distingués en ville, des rumeurs, des histoires, des légendes de plus en plus abracadabrantes courent les rues.
Voici comment tout a commencé…
Au début, rien de vilain, de simples phrases horrifiantes qu’on entendait se propager dans la population :
"Le prince Kaevann va emporter nos enfants."
"Il viendra les dévorer la nuit !"
"C’est qu’il a un appétit féroce ce vampire…"
Mais petit à petit, ses simples petites phrases devenaient des histoires, Le Voïvode devenait un monstre légendaire.
« Loin à l’Est, aux frontières du mystère, vit le Vampire dans son horrible tanière.
C’est un butor sanguinaire aux crocs d’enfer, un monstre fou qui se joue de la mort.
Son ombre est rouge, il a perdu son âme.
Son appétit est insatiable. »
Et finalement, le peuple polaréen s’inventa des fables de combats épiques pour faire face à cette menace qui pesait sur leurs esprits. Des discours de victoire, qui ne verront jamais le jour, mais qui aidaient à guérir les blessures psychologiques des petites gens.
« Nous débarrasserons Polaris du Démon !
Enfourchons nos montures, et que les Déesses guident nos pas.
Les Héros saurons nous montrer le chemin.
Par delà la pluie et le vent, au château d'Altaïr, nous sommes sûr que nous vaincrons.
Avec rage, au devant du carnage, sans répit traquons-le dans la nuit.
À vos pieux ! À vos flèches ! Prions Solweig et Valdania qu’Il ne nous blesse !
Nous allons assiéger le château du Vampire et ramener sa tête !
L’inconnu nous effraie, l’imprévu nous terrorise, et ce monstre mystérieux nous inquiète.
Polaréens, à vos armes ! Sauvons nos enfants, nos âmes.
Sous le vent des bannières, nous marcherons à la bataille, malgré le danger qui pèse sur nos têtes.
L’Etoile du Nord pour blason, oui nous sommes sûrs que nous vaincrons ! »
Bien sûr, tout ceci n'était que divagation du peuple. Les hautes autorités de Polaris savaient bien que les Princes du Nord n'étaient plus une menace, et n'avaient aucune envie de s'enliser dans une nouvelle guerre !
Le peuple parle, mais ce ne sont que des histoires...
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