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Le Saint-Siège


Le Saint-Siège semblait moins peuplé qu’à une époque. C’est que depuis la fin des travaux de la cité monument, on avait laissé chaque homme vaquer à ses occupations : les grands mit'a, ces travaux d’intérêts généraux volontaires autour desquels on avait mobilisé tant les citoyens laïcs qu’ordonnés, avaient enfin atteint leur conclusion. Ceux qui grouillaient en légion sur les échafauds et dans les chantiers se cachaient maintenant dans les manufactures, les temples, les boutiques, ou avaient passé les portes blanches pour explorer le désert, cartographier les dunes, attester qu’il existait bien un monde, en dehors du cocon de la Croix du Sud.
Ce fut donc le spectacle d’une ville neuve et propre, ordonnée avec soin, qui accueillie l’Inquisiteur noir.
Au sein de la population on ne savait pas trop pourquoi la ville avait été construite si grande. La raison la plus évidente semblait être pour accueillir les foules pèlerines qui finiraient bien par arriver. Mais cela semblait peu probable, et contraire au pragmatisme habituel de l’administration. Elle préférait avancer pas à pas, minutieusement, en politique comme en gestion. Des rumeurs persistantes disaient plutôt que le plan de la ville répondait à des conceptions rituelles. On ignorait pas que la Femme exaltée avait des visions. Venues des dieux ? Sans doute. C’était l’avis général. D’où viendraient-elles, sinon ? Et si maude avait ordonné à la troupe des exilées de s’arrêter, après des années d’exil, en ce lieu précis, si la vision prophétique de l’oiseau migrateur se posant sur un arbre fossilisé, un œil dans la bouche, avait annoncée la construction de la Croix du Sud, peut-être que les plans de celles-là lui avaient aussi été soufflés.
Celle-là se gardait de réagir aux rumeurs. Certains l’accusaient déjà d’entretenir un culte de la personnalité, et elle faisait, discrètement, tout son possible pour les détromper. L’adoration que certains lui portait était passagère, et devrait, bien assez tôt, muter en amour des dieux. Qu’on lui fasse confiance pour bien représenter ceux-là était certes important, mais son rêve était de faire du désert un jardin. Elle n’était qu’une botaniste, pourrait être remplacé.
Pour l’heure l’étendue totale de son rêve était de quelques kilomètres, maintenue derrière des murs blancs et crénelé, à la base peinte d’un rouge saillant. Des couleurs chaudes couvraient des sculptures abstraites et végétales, et on devinait dans le prolongement des portes de la ville, installées sous une arche où se pressaient douaniers et visiteurs, de grandes avenues droites menant directement aux deux escaliers d’une gigantesque pyramide à niveau. Il y avait de la musique, quelque-part. On célébrait quelque-chose. Peut-être une procession religieuse, ou une victoire militaire. Si la cité était divisée en quartiers, et que chaque culte majeur se voyait doté de ses espaces dédiés, l’œcuménisme ambiant empêchait de strictement limiter les activités des uns à des zones données. Les carnavals du soleil finissaient toujours en beuverie près des quartiers de la nuit, et que serait une célébration de la mort sans un récital sur la naissance.
L’arrivée du marquis avait été préparée avec soin, et on avait fait en sorte de placer quelques éclaireurs capables de le voir approcher avant qu’il n’ait à s'annoncer aux murailles de la ville. Ainsi, lorsque le vampire arriva, il vit d’abord la grande pyramide, puis les murs de la cité, et enfin l’unité de cavalerie envoyée l’escorter triomphalement jusqu’aux portes nord, au-dessus desquelles se trouvait un quadrige de métaux noirs et ors et l'étendard à l’œil solaire.
Puis une marche triomphale, jouée par des musiciens en tenue cérémonielle, et une haie d’honneurs d’inquisiteurs, issus du contingent qui avait accompagné la Sainte Vivante lors de la "pacification" des infidèles de l’Ouest. Leurs grands manteaux d’apparat flottaient au vent, et contrastaient avec leur immobilisme parfait. Au bout de la haie, située en haut des marches, à l’ombre des portes, des administrateurs, des ecclésiastiques dans leurs habits rituels et, se levant doucement d’une chaise de bois simple, une jeune femme en robe rouge et aux cheveux blonds. Sans toute la science du paraître qu’avait développée le Saint-Siège, sa papesse aurait sans doute pu passer pour une personne assez banale. Quoi que les années passées à la tête de Sanctuarium démontraient que même sans les dorures impériales de sa nouvelle cité, elle pouvait exalter une certaine puissance. Cependant, et dans le cas présent, la ville compensait ce qui lui manquait en population par la grandeur de ses cérémonies. C’était aussi pour ça, sans doute, qu’on l’avait construite si grande.
Une fois debout, Sainte-Maude descendit les marches pour se placer au bout de la haie d’honneur, et leva vaguement une main à l’adresse de sa suite. Là, deux jeunes femmes en tenue rouge et blanches s’approchèrent de l’inquisiteur pour lui proposer de se restaurer, d’une part, et de le cacher du soleil via une ombrelle, de l’autre. On avait trouvé ces volontaires dans l’un des temples de Libra. Elles étaient de ces cultistes qui y resteraient quelques mois pour recevoir une éducation religieuse en échange de quelques corvées. De bonnes fidèles, serviables, qui auraient sans doute de beaux avenirs dans l’ecclésiarchie, si elles désiraient continuer sur la durée.
Sainte-Maude ne put cacher sa satisfaction lorsque la musique s’arrêta au moment précis où elle et son invité se firent face. Elle la maquilla en fierté, et inclina la tête devant Agendorf, savourant encore un peu ce silence, qui tombait si bien.
« N’ayant pas été informée d’un quelconque protocole concernant votre visite, j’ai fait au mieux selon ce que nos éclaireurs nous ont dits de la Terrasylvanie, et nos vampires de votre monde d’origine. »
Elle redressa la tête.
« J’espère que ce comité saura, malgré l’humilité de son dispositif, exprimer l’immense joie que nous éprouvons à vous recevoir. »
Elle lui tendit la main. Une main délicate, entretenue avec soin par des servantes chaque jour un peu plus catastrophées de voir que leur maîtresse ne ménageait pas sa peau. Un parfum d’épices et d’encens embaumait l’air. La princesse des lieux sourit.
« Voudriez-vous bien m’accompagner à l’intérieur ? Je crois comprendre que vous êtes plus à l’aise la nuit, aussi allons-nous vous épargner les grandes prières sur l’Axis Mundis et directement nous rendre au centralis palatium. Nous pourrons y discuter librement et manger, s’il le faut. »
Dans le palais, c'était branle-bas de combat. Et si Agendrof en monta les marches et en passa le haut seuil pour y découvrir un espace de sérénité, c'est que la masse des serviteurs travaillait vite et bien. Cela n'empêchait pas les remarques murmurées à mots couverts, dans le secret des cuisines et des couloirs de service.
« L’Homme est inquisiteur ? Mais il n'est pas du Siège !
– Il vient en qualité de diplomate, et vous l’appellerez par son titre de marquis.
– Et s’il exige d’être appelé différemment ?
– L’expérience nous apprend à être de bons hôtes avec les mauvais invités. Au travail, maintenant. »
Maude et son invité étaient maintenant dans un de ces salons pensé pour recevoir les dignitaires étrangers : grande pièce aux murs peints et gravés, séparée en divers espaces par des tapisseries suspendues. On s'y installait autour de tables basses et d'épais coussins sur un carrelage frais. Pour l’heure le soleil ne s’était pas encore couché, aussi la cours intérieure située toute proche était-elle encore abandonnée. Un serviteur y arrosait parcimonieusement quelques cactus fruitiers. Un badguir installé sur le toit de l'aile palatiale assurait une agréable fraîcheur à toute la pièce. Quelques acolytes de confiance se trouvaient là pour répondre à tout les besoins des hôtes, fussent-ils de trouver du papier et de l’encre, ou du sang. Une fois installée devant la table, où trônait des paniers de fruits, de sucrerie et de viande, la sainte parla sans détour.
« Il a fallu bien des jours pour que le voïvode nous envoie l'un des siens. Que nous vaut cette heureuse décision ? »
Le ton ne contenait aucun reproche. Agendorf avait déjà pu constater que la Sainte-Vivante était soit incapable de sentiments négatifs, soit dotée d'un contrôle assez crispant d'elle-même. Son regard, intelligent, n'exprimait rien d'autre que ça, de l'intelligente, et ses manières bienveillantes et maternelles semblaient la placer en dehors de la société des hommes. Elle dégageait quelque-chose d’agréable, et de perturbant.
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Voilà plusieurs jours qu’il marchait, enfin jour façon de parler, les jours servaient plutôt à se reposer. Il avait eu l’emplacement du Saint-Siège par les éclaireurs d’Altaïr et se déplaçait d’après de vagues informations. D’après ce qu’il savait cette citée blanche ne devrait plus être très loin, il se devait de prendre sur lui et d’arriver au moins pendant que l’astre solaire était encore dans le ciel. Il sût qu’il était bientôt arrivé quand se détachant de l’horizon une grande pyramide refléter les rayons du soleil de par ses pierres d’un blanc immaculé. Plus il s’approchait plus le désert semblait terne et sombre, tellement la cité resplendissait et irradiait de lumière.
L’Inquisiteur sourit, cela allait le changer d’Altaïr, à lui de rester maître de lui-même et ne pas trop montrer sa gêne d’être dans un endroit si blanc et lumineux. La base rouge des murs d’enceinte marquait la délimitation entre le désert sauvage et cette citée sortie de terre. Une ouverture plus sombre se détachait, la porte. Était-il attendu, serait-il chassé ? Ses discussions avec Longinus, le Châtiment des Impies et le Bras armé de la foi, devrait lui avoir ouvert les portes ou tout du moindre faire savoir qu’il était attendu.
Soudain un nuage de poussière fonçait droit dans sa direction. Par réflexe il posa sa main sur le pommeau de son épée, même si contre plusieurs cavaliers ses chances de survie était quasi nul. La cavalerie l’encercla et l’escorta en direction de la porte, porte surmontée d’un sublime quadrige noir, semblant défier le désert à chaque instant.
A peine la porte passée qu’une musique de fête résonna autour de lui, de nombreux guerriers avec les insignes de différents dieux lui faisait une haire d’honneur. Son regard ne s’arrêtait que sur ceux portant la marque de Solweig et de Libra, les saluant d’un geste de la tête. Cette musique l’accompagnait et la haie le conduisait droit sur la pyramide. Se détachant de l’ombre de la porte en hauteur une silhouette s’approcha. La musique était somme tout entraînante, mais les seuls éléments qui bougeaient était les vêtements prit dans le vent des guerriers.
A l’approche des marches la silhouette fit un signe et deux jeunes femmes vinrent prendre soin de lui, des rafraîchissements et de l’ombre. Et lorsqu’il arriva face à son hôte la musique se stoppa, les gestes et chronologie avait dû être répétée mainte fois et était surprenante. Il rendit la salutation silencieuse.
Je vous remercie de vous être donné autant de mal pour m’accueillir et j’en suis flatté. Ma joie de vous trouver et rencontrer est tout aussi grande, même si je ne peux que la matérialiser par ce tonnelet venant de ma vigne sacrée à Altaïr.
Et il sortit de son sac, un tonnelet en bois noir qu’il remit à une suivante. La Sainte l’invitait déjà à le suivre à l’intérieur. A chacun de ses mouvement des effluves des plus agréables émanaient d’elle, amenant une certaine sérénité à qui les sentait. Il inclina à nouveau la tête en guise d’acceptation et la suivit dans les couloirs du palais. Enfin de l’ombre et du frais, il se détendait légèrement, observant les décorations et architectures bien différente à sa cathédrale. Au bruit de ses pas il lui semblait entendre des murmures incompréhensibles, sûrement pour l’organisation de la suite.
La destination était un salon d’apparat, meublé avec élégance, même s’il manquait de noir à son goût. Tout était fait pour montrer la richesse et supériorité du Saint Siège, tant par la décoration que par le nombre de personne là uniquement pour leur bien-être. Il souriait intérieurement lorsqu’on lui servit du sang frais, enfin une boisson revigorante, même si un certain dégoût pouvait se lire dans les yeux et le visage du serveur. La Papesse posa sans détour une question, direct certes, mais sans jugement ou reproche apparent.
Je conçois votre surprise de ne pas avoir été contacté plus tôt et au nom du Voïvod et d’Altaïr je m’en excuse. Nous avons dû gérer des soucis interne et externe, nous empêchant d’établir des liens diplomatiques avec les clans alentours. A présent les évènements graves ayant pu être réglé, nous sommes tout disposé à nous concentrer sur nos futurs alliés, nous l’espérons tous.
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« Vos excuses sont acceptées, naturellement. Et après, tout cela s’entend. Le désert est dur avec ses colons, nous avons tous nos problèmes. J'espère que les vôtres auront été réglés sans opposer une résistance trop farouche. La Croix du Sud a elle aussi dû faire face à des difficultés récalcitrantes. »
Elle pencha légèrement la tête sur le côté puis attrapa une figue de barbarie, déjà pelée, qu’elle commença à débiter en tranches. Un jus d'un rouge profond s'écoulait sur l'ocre de l'assiette creuse.
« Dans certains des textes, ce fruit a une portée symbolique. Il représente le cœur des sacrifiés et des martyrs. Bien entendu, ceux-là on ne les mange pas. »
Son regard passa rapidement sur les morceaux de viande disposés sur la table. Quelque-chose dû l’amuser, car elle sourit. Elle ne précisa pas de quoi il s’agissait : inutile de répéter qu’il existait bien quelques rituels carnivores, voir anthropophages, dans la longue liste des vénérations sauvegardées par l’inquisition. Une bouchée de figue avalée, la sainte se tamponna le menton avec une serviette blanche, puis acquiesça.
« Sachez que nous espérons aussi beaucoup des liens que pourraient entretenir nos deux cités. Hélas il est vrai, faute d'émissaires vampires assez gradés, nous n'avons pas eu l'occasion d'organiser la mise en place d'une ambassade politique ou ecclésiarchique au nord. C’eut été souhaitable, et c'est notre manquement. » Elle poussa un soupir amusé. « Maintenant, si nous devons nous allier, c’est que nous avons quelques intérêts communs. »
Elle cligna des yeux et inspira. Il allait être temps de parler politique. Un sujet qu’elle faisait de son mieux pour apprécier aussi peu que possible, malgré ses inclinaisons naturelles. Elle se rêvait femme de foi pure, prophétesse sur un trône de sagesse, éloignée du monde physique par un empire de vénération. Mais au fond elle le savait, elle était une prince. Une cheffe de guerre. Et, quoi qu'elle puisse vouloir, elle aimait les outils de son combat.
« Ce que souhaite le Saint-Siège c’est assurer l’adoration des dieux. Sauvegarder les cultes qu’amènent les habitants du désert de leurs mondes d’origine, et ceux qu’ils créent ici-même. Nous souhaitons aussi organiser le dialogue religieux et permettre la création d’un collègue d’Archimage, permettant de traiter des schismes et différents religieux dans un esprit de vénération adapté à la grandeur de nos créateurs. » Levant le menton. « Si je ne peux pas prétendre avoir pleinement conscience de ce que signifient les rêves prophétiques qu’Ils m’envoient, je peux au moins vous assurer que mon objectif est celui d’une femme d’Église et non d’État. Le Saint-Siège, en tant qu’organisation politique, a une vocation d’outil. C'est un moyen, pas une fin : le monde matériel ne nous intéresse que dans la limite où il est celui où sont organisés les cultes des Dieux. »
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