Elfes
Femme
Valdania
Le Saint-Siège

Vvarden n'était pas taillée pour le combat, pas plus que ses deux autres compagnons de tour de garde. A côté du brasero installé au milieu de la portion de barricades qu'ils devaient protéger cette nuit, était placardée une affiche de propagande.
Elle représentait les différents corps constituant la société : des ouvriers, des soldats, des récolteurs, des scribes, des fonctionnaires, des prêtres, etc... Ré-affirmant l'égalitarisme et l'universalisme du Saint-Siège, les individus étaient issus des quatre races et des deux sexes. Bien rangés devant les murailles blanches de la Croix-du-Sud, ils encadraient une Sainte-Maude rayonnante brandissant son épée.
« Nous formons tous la phalange qui protège les croyants !»
Vvarden se souvenait de l'histoire de cette affiche : elle avait été largement diffusée lors de l'apparition d'Aphistème, afin de stimuler la productivité à l'arrière du front, en prévision de l'attaque de la cité et des dégâts qu'il causerait et qu'il faudrait réparer. Mais aujourd'hui elle avait perdu son caractère métaphorique : la mobilisation générale avait été décrétée, et tous les corps de la société se retrouvaient effectivement enrôlés en première ligne, sur ces barricades qui avaient beaucoup à envier aux blanches murailles des dessins de propagande.
Car oui, la Croix-du-Sud, la fière cité du Saint-Siège, se retrouvait assiégée.
Dès la tombée de la nuit des hordes de squelettes émergeaient du sable et s'attaquaient aux barricades, dans un cliquetis grotesque et lugubre. Le combat était généralement à l'avantage des défenseurs, néanmoins les squelettes revenaient sans cesse en nombre, usant les lames comme la détermination des soldats de fortunes.
Les entailles et brèches dans la ligne de défense s'accumulaient, mais c'est surtout à l'intérieur de la cité que les choses se gâtaient, conséquence de cette mobilisation générale que tout le monde avait espéré courte, et qui s'éternisait. Les champs s’asséchaient, faute de puisatier, le bois s'accumulait dans les scieries, fautes d'apprentis, les soldats de métier se retrouvaient sans équipements. Et tout cela n'était rien, en comparaison au cataclysme qui se dessinait dans l'administration : des jours de retards dans le traitement des dossiers, des montagnes de documents à archiver qu'on stockait dans les couloirs, des décisions qu'on n'osait plus prendre par crainte d'enfreindre une directive publiée ailleurs mais dont on n'avait pas encore reçu le duplicata.
De ce chaos naissaient bien des rumeurs. Il se disait que le système allait s'effondrer, et que ce serait l'occasion de tirer un trait sur les erreurs du passé. Le monstre administratif, incapable de se réformer de lui-même, allait imploser, emportant avec lui ses dérives, ses luttes de pouvoir intestines, sa corruption. Une société juste, exemplaire, au plus proche des valeurs qu'elle prône pourrait ainsi voir le jour. Nombreux attendaient une reprise en main ferme de Sainte-Maude pour les débarrasser des trop nombreux petits potentats qui avaient jusque-là prospéré dans les tranches du mille-feuille bureaucratique.
Vvarden restait dubitative, mais il y avait toutefois une rumeur à laquelle elle s'accrochait. Une rumeur qui lui donnait plus de courage que tous les efforts du Département Général de la Propagande : il se disait aussi que des âmes en grand nombre étaient sur le point d'apparaître sur Terra. Et parmi eux des justes et des fidèles qui rejoindraient la bannière du Saint-Siège...
Cric...crac...
Mais pour l'instant, seuls des squelettes frappent aux portes, et les nuits s'allongent...
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