Elfes
Femme
Valdania
Le Saint-Siège

Un spectre hante le Saint-Siège... c'est le spectre de la Ligue des Amis de l'Ordre du Feu Secret !
Si les conditions de vie y sont exceptionnelles au regard de ce qui existe ailleurs sur Terra, il serait faux de croire que tout le monde est heureux au Saint-Siège. Non, il existe de nombreux mécontents. Des apprentis harassés par le travail sur des chantiers pharaoniques, des fonctionnaires étouffés par les lois, règles et consignes qui s'accumulent comme les parchemins sur les étagères poussiéreuses de leur bureau, des citoyens de toutes conditions broyés par les rouages de l'obscure machinerie étatique.
Ces mécontents, d'abord isolés et muselés par la peur, ont fini par se regrouper et s'organiser.
L'arrivée providentielle des Saintes Écritures de la Montagne Vigilante, portées par un vol de mélarithes, a ouvert leur horizon et leur a fourni un but, en même temps que la promesse d'un appui extérieur. Ceux qui fomentent la révolution au Saint-Siège se sont donnés un nom : la Ligue des Amis de l'Ordre du Feu Secret.
A leur tête, un certain Yosep Resanta, surnommé « l'Invincible ».
*****
Yosep contemplait son œuvre, satisfait.
Dans la rue où il se trouvait rien ne semblait avoir changé, tout était parfaitement calme.
Mais ce soir, lorsque la lune brillera, les lettres apparaîtront. Il les avait tracées avec un liquide fait d'un mélange de bile de vers des sables, de résine d'une variété de cactus qu'il avait eu beaucoup de mal à se procurer, et d'un savant assemblage de cinq épices.
Oui, pensait-il, ce soir le message sera bien visible, ici comme dans les nombreux autres lieux où il l'avait écrit, et chacun pourra lire : « Nous sommes tous les flammes qui dansons au gré du vent ! ».
C'était le message qu'avait choisi la Ligue pour déclencher l'insurrection : une vaste opération de propagande allait être accompagnée d'une série d'actions directes qui ne manquerait pas de faire vaciller le pouvoir, et le peuple se joindra à la Ligue pour l'achever !
Yosep avait pris toutes les précautions nécessaires, et il était sûr de ne pas avoir été suivi. Aussi reprit-il sont chemin comme si de rien n'était, un sourire aux lèvres.
« Cible en joue » annonça la sentinelle, laconique.
La cible portait une armure dissimulée sous sa cape, mais la sentinelle connaissait de mémoire, d'après son rapport de mission, l'emplacement des 7 points de faiblesse de ladite armure. De son angle de tir elle pouvait en atteindre 3.
L'officier supérieur, qui avait été mandaté au vu de l'importance de la situation, lui répondit :
« Bien. Rappelle-toi que tu n'auras qu'une seule tentative. » A vrai dire il savait pertinemment que cette précision était superflue. Le soldat sous ses ordres appartenant à l'élite du Saint-Siège, il était évident qu'il connaissait parfaitement sa mission et pouvait la mener à bien sans supervision. Mais l'officier aimait bien rajouter un peu de solennité, histoire de renforcer la tension dramatique.
Un éclair de douleur traversa Yosep. Il lui fallut quelques instants pour comprendre qu'un carreau d'arbalète venait de perforer sa chair juste en dessous de l'épaule droite.
« Les salauds ! » Hurla-t-il.
Et il se mit à courir droit devant lui, trop heureux d'être encore en vie. Il aperçut alors la porte extérieure Ouest grande ouverte, et, fait particulièrement rare, non gardée. Mais il n'avait pas le temps de considérer ce détail, il devait agir au plus vite.
« C'est ma chance ! Ce n'est pas aujourd'hui qu'ils auront la peau de Yosep l'Invincible ! Ce n'est pas aujourd'hui qu'ils auront la peau de la Ligue ! Grave erreur que d'avoir sous-estimé les amis de l'Ordre du Feu Secret !»
Yosep ne s'arrêta de courir qu'après avoir laissé plusieurs centaines de mètres entre lui et les murailles extérieures. Au loin il vit des formes se dessiner sur les dunes. Était-ce son nouveau Dieu, le Dieu du Feu ?
Bien qu'assez loin des portes il entendit distinctement leur clac quand elle se refermèrent. Les formes s'approchèrent et il pu distinguer des vers des sables, manifestement attirés par le sang qui s'écoulait de sa blessure.
C'est alors qu'il compris que non, il n'avait pas eu « de la chance dans son malheur ».
Et alors il se rappela les mots de l'Instructeur Publique, celui qui « instruisait » les apprentis chaque soir après leur journée de travail à l'atelier : « La chance n'existe pas. Le hasard n'existe pas. Les Dieux calculent, les Dieux décident. »
Et il ajoutait toujours, sans chercher à dissimuler un rictus glacial : « Et décider, c'est trancher. »
« Pourquoi ne pas avoir abattu cette vermine en pleine rue ? Cela aurait fait un bel exemple ! » interrogea la sentinelle.
« Imbécile, il est bien plus utile qu'il démontre sa lâcheté en s'enfuyant, que lui donner la possibilité de faire croire qu'il était courageux en en faisant un martyr. Et si tu continue à poser trop questions tu suivras son exemple. » En vérité l'officier n'était pas fâché d'être questionné par son subordonné. Il savait que l'esprit critique n'était pas incompatible avec la plus sévère discipline, du mois lorsque l'on se trouve du côté des sincères et des justes. Mais il se plaisait à menacer ses soldats, histoire de renforcer la tension dramatique.
*****
Xersès contemplait son œuvre, satisfait.
Dans la rue où il se trouvait, rien ne semblait avoir changé, tout était parfaitement calme.
Mais hier soir, lorsque la lune se mit à briller, tous purent constater l'efficacité de son patient et silencieux travail.
Xersès était le Haut Commissaire à la Sécurité Intérieure, en poste depuis la fondation de la Croix du Sud, et il venait de traverser « la pire crise sécuritaire de l'histoire du Saint-Siège ».
La veille un tonneau de poudre explosive placé dans le pavillon de réception du Conclave Oecuménique, et suffisamment chargé pour faire s'effondrer le bâtiment, se mit à fumer. Mais il n'explosa pas : la poudre avait été mouillée.
Ailleurs le carreau d'arbalète qui devait abattre Sainte-Maude lors de sa prière se disloqua en 4 morceaux qui retombèrent à quelques pas du tireur sans faire de victime : le carreau avait été minutieusement et imperceptiblement scié, puis repositionné dans l'arbalète, à l'insu du révolutionnaire.
Les colombes qui devaient s'envoler par dizaines et répandre des messages de propagande aux quatre coins de la Croix du Sud furent frappées de dysenterie aiguë et répandirent leurs fientes sur les fidèles de la Ligue qui s'apprêtaient à les lancer : elles avaient été empoisonnées.
On compta ainsi une vingtaine de tentatives d'attentats avortées. Des lieux stratégiques, des personnalités de premier plan étaient visés, et les moyens employés étaient variés et ingénieux, témoignant d'une organisation, d'une combativité, et d'une capacité de mobilisation à mettre au crédit de la Ligue des Amis de l'Ordre du Feu Secret.
Mais il était manifeste que le Commissariat à la Sécurité Intérieure avait plus d'un coup d'avance.
De part sa fonction Xersès était une cible prioritaire du mouvement contestataire.
Aussi, en déambulant sans escorte dans un des quartiers d'apprentis où la Ligue comptait le plus de partisans, le lendemain de la « nuit d'action », il infligeait aux partisans de l'Ordre du Feu une humiliation dont ils ne se relèveraient pas.
Mais il venait ici également pour contrôler la mise en œuvre de son dernier décret.
Ceux qui avaient pris part de près ou de loin aux activités de la Ligue devaient participer aux travaux « d'embellissement » de leur maison.
Ils allaient graver, sur le fronton de leur maison, afin qu'ils la lisent et se la répètent chaque soir en rentrant chez eux, cette phrase qui semblait toute droit tirée de leur soi-disant saintes écritures tant elle épousait l'esprit de faiblesse et de servitude de cette secte :
« Nous sommes peu de chose, mais cela nous suffit. »
Et peut-être qu'ainsi ils finiront par apprendre à rester à leur place.
- 5