-Entre et assis-toi Vvarden.

Malgré la voix rassurante et affectueuse d'Amontloq, son mentor, Vvarden ne pouvait s'empêcher de redouter le pire. Cette convocation en pleine nuit impliquait que l'affaire était soit des plus urgentes, soit qu'elle nécessitait la plus grande discrétion.

-Comme tu le sais tu as été désigné pour participer à l'Opération Extérieure Extraordinaire de soutien à la Faille. Nul ne sait à quels dangers tu auras à faire face là-bas. Des trois membres de notre délégation tu es... comment dire... la moins pourvue en compétences martiales. Bien sûr ton rôle est avant tout scientifique et tu seras escortée par des combattants aguerris. Néanmoins il n'est pas dit que tu puisses toujours compter sur eux pour te défendre. C'est pourquoi j'ai jugé bon de te faire participer à un entraînement intensif. La négociation n'a pas été facile, mais j'ai réussi à trouver un terrain d'entente avec Xersès, et il te fait la faveur de t'intégrer à son programme de formation de ses Sentinelles. (Et quelle faveur ! Le taux de mortalité de ce programme avoisinait les dix pourcents...). Sur Xersès et les sentinelles lire ici.

Tu commenceras dès demain matin et tu le poursuivras jusqu'à la veille de ton départ.

C'est court. Le maniement des armes, la précision au tir nécessitent beaucoup de pratique. Mais au moins tu auras les bases nécessaires pour acquérir cette expérience sur le tas... (Amontloq s’interrompit dans un sourire peiné, et Vvarden compléta mentalement la phrase : « si tu survie assez longtemps »).

Et puis, je ne doute pas que dans l'adversité tu sauras où chercher des ressources.

Il avait appuyé cette phrase, en lui tendant un volume savamment relié des Apophtègmes Valdaniens, un recueil des plus célèbres maximes des prêtres de Valdania.

Il la raccompagna et ajouta, sur la pas de la porte :

-J'ai hâte que tu me prouves qu'un citoyen non combattant puisse devenir en si peu de temps un implacable guerrier.

Elle ne comprendrait que bien plus tard tout ce qu'Amontloq voulait dire par là.

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Vvarden rejoignit les autres au lieu de rendez-vous qui leur avait été communiqué au dernier moment.

Une Elfe, élégante et glaciale, les attendait.

Elle les toisa, un à un, en silence. Il sembla à Vvarden qu'elle l'avait dévisagée plus longtemps que ses camarades. Peut être parce qu'elle savait qu'elle n'était pas une recrue comme les autres, qu'elle n'avait rejoint que ponctuellement le programme de formation des Sentinelles du Commissariat à la Sécurité Intérieure, dans le cours laps de temps précédant son départ vers la Faille.

Enfin l'Elfe prit la parole : « Je m'appelle Anankè Thanaata, et je suis l'instructeur en charge de votre formation. Suivez-moi.».

Elle avait dit : « instructeur », mais son ton, son regard, et l'Oeil Unique tatoué sur sa tempe gauche (pour ceux initiés à cette branche de la symbolique du Saint-Siège) signifiaient : « COMMISSAIRE instructeur ».

Sans plus de cérémonie elle s'adressa au groupe :

-Pour commencer, est-ce que l'un d'entre vous peut me dire où nous nous trouvons ?

Celui qui se révélera rapidement être le fayot de service s'y colla :

-De toute évidence nous sommes dans une maison standardisée pour apprentis. Elle contient tout le mobilier et les accessoires nécessaires à une vie saine pour dix apprentis, mais rien de plus. Le nécessaire pour tous, le superflu pour personne. Bien sûr ces principes ne sont valables que pour les apprentis, il est normal que des membres plus honorables de la société soient mieux honorés. (Cette dernière précision n'était pas du fayotage, c'était de la survie: il valait mieux ne pas tenter de faire culpabiliser les Officiers Supérieurs sur la taille de leurs appartements privés.)

L'idée est d'une part d'optimiser les ressources, d'autre part de limiter les désirs et tentations nuisibles à la collectivité. La disposition des parties communes, des espaces de circulation, et des ouvertures vers l'extérieur a été ingénieusement pensée pour permettre une observation constante des individus qui y habitent, ou du moins à donner un sentiment d'être constamment observable. Nous pouvons également souligner que...

-Ça ira merci. Nous pourrons passer plusieurs mois à souligner l'ingéniosité des architectes qui ont conçu les maisons standardisées pour apprentis. Il y a d'ailleurs un cursus pour cela à l'Université Oecuménique. Quelqu'un voit-il autre chose qu'une maison ?

Personne ne trouva autre chose à dire, ou personne n'osa.

-Et bien pour ma part, reprit-elle, je vois un râtelier.

Le fayot regarda les autres avec une moue qui voulait dire « non mais vous avez entendu la même chose que moi ?! »

-Oui, pour moi nous sommes dans un lieu où sont stockées des armes létales. Plus exactement où ne sont stockées que des armes létales. Vous pourrez fouiller cette maison de fond en comble, et si vous trouvez un élément avec lequel vous pensez que je ne pourrais pas vous tuer sur-le-champ, je me ferais un plaisir de vous en faire la démonstration.

Une petite tâche apparut sur l'entrejambe du fayot. Les souffrances du petit malin qui avait voulu blaguer en proposant le pot de chambre étaient proverbiales parmi les aspirants Sentinelles.

-Des couverts, une cordelette, une armoire, une poignée de porte... Ces éléments banals du quotidien ont été pensé pour une fonction précise, mais rien n'empêche qu'ils soient détournés pour autre chose. Et s'il y a bien un domaine dans lequel j'ai étudié les possibilités de détournement, c'est celui de l'assassinat. Mais ce n'est pas tout à fait ce que je vais vous apprendre aujourd'hui.

Elle marqua une pause.

-Ce que je suis venu vous enseigner, c'est que de même que chaque objet, si anodin soit-il, peut devenir une arme mortelle, de même chaque citoyen, si gringalet et indolent qu'il soit, peut devenir une machine à tuer.

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-Qui peut me dire ce qui en nous s'oppose à notre volonté d'agir ?

Le fayot, bien qu'il tremblât maintenant comme une feuille, ne put s'empêcher de prendre la parole :

-La peur... La peur nous inhibe.

-Non, pas toujours. La peur peut aussi nous pousser à agir. Tout comme la honte, la colère, la souffrance. Les émotions ne sont pas nos meilleurs guides, mais elle sont un moteur de notre volonté. Non, ce qui s'oppose toujours à notre volonté d'agir, c'est... le doute.

Et la leçon la plus fondamentale que j'ai à vous transmettre, c'est comment ôter le doute de votre esprit. Comment ôter le doute que votre mission est juste et nécessaire, si absurde ou abjecte qu'elle vous paraisse.

Comment ôter le doute que vos supérieurs sont dans le vrai, que vous servez la noble cause du Saint-Siège, et que les Dieux sont avec nous.

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-Vous êtes une lame. Nous sommes entrain de vous affûter. Le moment venu, il faudra vous laisser manier par le soldat, il faudra vous laisser mouvoir en vous imprégnant de sa force. Il faudra vous laisser guider par l'implacable organisation du Saint-Siège. En devenant son instrument, vous comprendrez alors la puissance de cette hiérarchie qui a pu vous paraître aberrante, dans cette autre vie que vous avez quittez le jour où j'ai pris en charge votre formation.

Abandonnez tout doute, laissez-vous guidez, et vous goûterez la jouissance extrême de faire partie d'un corps immense et invincible : l’État. L’État du Saint-Siège.

Pour la première fois le regard d'Anankè Thanaata flotta, son attention se relâcha comme si elle plongeait des ses souvenirs, et son sourire sadique s'étira encore un peu.